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Fiches de résultats 13 avril 2021

Donner la priorité aux populations les plus pauvres d’Afrique de l’Ouest : voici comment la technologie a permis au programme de protection sociale Novissi au Togo de changer la donne pendant la pandémie

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Agricultrice, Houenonvissi habite dans le sud du Togo, dans le village de Fiata Djigbé. Veuve depuis plusieurs années, elle vit avec ses petits-enfants. La pandémie ayant ralenti le commerce, elle n’a pas pu vendre une grande partie de sa production, très périssable, et ses revenus se sont effondrés. Grâce aux transferts monétaires dont elle a bénéficié, elle a pu se convertir au palmier à huile, une culture qui a l’avantage de se conserver plus longtemps. Parallèlement, elle a investi dans l’élevage de chèvres, qu’elle vendra ensuite. Enfin, elle met un peu d’argent de côté, pour les coups durs. Houenonvissi a ainsi pu diversifier son revenu, investir et épargner.

Photo: Floriane Acouetey.


Grâce aux techniques d’apprentissage automatique et aux services d’argent mobile, le programme Novissi fournit des transferts monétaires d’urgence sans contact. Pour étendre la couverture de ce dispositif de protection sociale, les villages et les quartiers les plus pauvres du pays sont choisis en s’appuyant sur des images à haute résolution obtenues par satellite et des données de consommation des ménages représentatives à l’échelon national. Une fois les zones sélectionnées, le programme cible les individus les plus démunis grâce à des algorithmes d’apprentissage automatique reposant sur des métadonnées des téléphones mobiles et des enquêtes par téléphone. Ces algorithmes, entraînés avec des enregistrements d’appels téléphoniques détaillés, prédisent les habitudes de consommation de 5,7 millions d’habitants (70 % de la population). Entre novembre 2020 et mars 2021, 57 000 nouveaux bénéficiaires ont reçu en priorité des versements sociaux sans contact grâce à ces algorithmes prédictifs.

Défi

Avec un PIB par habitant de 679 dollars et une population totale de 8,1 millions d’habitants (2019), le Togo était parvenu, avant le début de la pandémie de COVID-19, à faire reculer la pauvreté. Mais il déplore désormais 8 585 cas confirmés dont 102 décès (au 18 mars 2021) et l’impact économique de la crise sanitaire a induit une hausse du taux de pauvreté de 1 point de pourcentage, à 46,2 %. Le pays ne devrait pas retrouver les niveaux pré-pandémie avant 2022. Environ 62 % des emplois ont été touchés, en particulier dans le secteur informel qui emploie respectivement 78,3 et 95,6 % des hommes et des femmes, en dehors de l’agriculture. En 2020, pratiquement 22 % de la population ont eu besoin d’une assistance humanitaire et 23,8 % des enfants de moins de cinq ans ont souffert de malnutrition chronique.

Démarche

En riposte à la pandémie de COVID-19, la Banque mondiale a mobilisé les financements de l’IDA dans le cadre du Programme d’identification unique pour l’intégration régionale et l’inclusion en Afrique de l’Ouest. L’objectif était de soutenir le programme Novissi, un dispositif de transferts monétaires d’urgence mis en place par le Togo, à travers le développement des systèmes de prestation sociale et le recours à des méthodes fondées sur les données pour prioriser les individus les plus pauvres. Cet accompagnement a donné lieu à l’utilisation d’algorithmes d’apprentissage profond qui ont permis d’identifier, grâce à des données géospatiales et démographiques, les 100 cantons ruraux les plus pauvres. De vastes enquêtes par téléphone ont permis de faire remonter des éléments de terrain sur les conditions de vie de 10 000 personnes. Les algorithmes d’apprentissage automatique ont été entraînés avec des métadonnées téléphoniques afin de prédire la consommation de 5,7 millions de personnes (70 % de la population) et de fournir des prestations sociales sans contact à 57 000 nouveaux bénéficiaires. En 2021, plusieurs enquêtes par téléphone et en face à face sont prévues pour consolider les modèles dans le but de repérer des biais prédictifs involontaires défavorables aux bénéficiaires vulnérables, comme les femmes, les personnes analphabètes et les groupes marginalisés. Ce faisant, les algorithmes pourront apprécier les erreurs d’inclusion et d’exclusion des bénéficiaires et évaluer les effets du programme sur la sécurité alimentaire et le bien-être.

Résultats

La première phase du programme Novissi d’aide sociale d’urgence (7 avril-1er septembre 2020) a soutenu 572 852 travailleurs du secteur informel — dont 373 858 femmes — dans l’agglomération du Grand Lomé, la préfecture de Tchaoudjo et le canton de Soudou. Avec l’organisation sans but lucratif GiveDirectly, qui permet aux donateurs d’envoyer directement de l’argent aux plus démunis partout dans le monde, la deuxième phase du programme couvre 57 000 bénéficiaires dans les 100 cantons les plus pauvres du pays. Cette extension a été rendue possible grâce à une technique d’apprentissage automatique, qui prédit les habitudes de consommation à partir de métadonnées téléphoniques, géospatiales et d’enquêtes.

  • Jusqu’ici (janvier 2021), Novissi a créé 170 278 nouveaux comptes dématérialisés, soit une hausse de la pénétration des services d’argent mobile au Togo de 7 %.
  • Des données géospatiales et démographiques ont permis d’identifier et de prioriser les 100 cantons les plus pauvres du Togo.
  • Trois enquêtes à haute fréquence par téléphone mobile couvrant 10 000 personnes ont été organisées.
  • Les algorithmes d’apprentissage automatique, entraînés avec des enregistrements d’appels téléphoniques détaillés, ont prédit les habitudes de consommation de 5,7 millions d’habitants (70 % de la population).
  • Entre novembre 2020 et mars 2021, 57 000 nouveaux bénéficiaires ont reçu en priorité des versements sociaux sans contact grâce à ces algorithmes prédictifs.

Contribution du Groupe de la Banque mondiale

La Banque mondiale a mobilisé des financements de l’IDA pour la recherche, le développement et les tests de faisabilité de méthodes d’apprentissage automatique conçues pour prioriser l’assistance destinée aux plus démunis au Togo. Deux vagues d’enquête par téléphone ont été organisées et une troisième devrait démarrer sous peu. Une enquête en face à face est également prévue prochainement, afin de procéder à des tests de performance plus solides et de mieux entraîner les algorithmes à l’élaboration de modèles prédictifs. L’IDA a également débloqué 72 millions de dollars pour financer le développement des systèmes de prestation sociale, dont notamment la mise en place de systèmes d’identification unique et de systèmes intégrés d’information sociale, ainsi que les équipements nécessaires pour la plateforme de paiement sans contact Novissi. Cette enveloppe relève du Programme d’identification unique pour l’intégration régionale et l’inclusion en Afrique de l’Ouest, une opération régionale de l’IDA d’un montant de 400 millions de dollars et déployée dans six pays.

Partenaires

Le projet est mis en œuvre en partenariat par la Banque mondiale et le gouvernement du Togo (sous la houlette du ministère de l’Économie numérique), des acteurs universitaires (l’université de Californie à Berkeley, Innovations for Poverty Action et l’université Northwestern) ainsi que des organisations humanitaires et philanthropiques (GiveDirectly).

Perspectives

La plateforme Novissi et les enseignements tirés de l’expérience de son système de prestation seront intégrés dans le projet de filets sociaux et de services de base. Des ressources additionnelles pour ce projet et l’assistance technique actuellement prodiguée au gouvernement togolais permettront de déployer un programme de protection sociale réactif en cas de chocs. La plateforme Novissi constituera l’un des piliers de ce programme. Elle pourra, à terme, faire partie d’un système intégré d’information sociale afin de soutenir la priorisation, le déploiement et le suivi de différents dispositifs de protection sociale. 

Bénéficiaires

Éric Dossekpli, un agriculteur de 49 ans installé dans la ville rurale d’Anfoin Avele, avait bien du mal à vendre sa production (arachides, haricots, maïs, manioc...) sur le marché local. Ce père de six enfants a vu ses revenus s’effriter avec la pandémie, les gens ayant moins d’argent à dépenser. Très vite, il n’a plus eu les moyens d’acheter les engrais pour nourrir ses cultures. Il ne gagnait plus assez d’argent pour couvrir les besoins élémentaires de sa famille ni les frais de scolarité de quatre de ses enfants.

« Je ne voyais plus comment faire pour acheter de la nourriture et tout ce dont nous avions besoin », raconte-t-il.

Grâce à de nouvelles techniques mises au point avec le concours financier de l’IDA, le programme GiveDirectly-Novissi a pu cibler en priorité les populations pauvres et vulnérables, et Éric Dossekpli a pu bénéficier de transferts monétaires. Sceptique au départ, il a été soulagé d’être retenu, car cela lui a évité d’avoir à mendier auprès d’autres agriculteurs le peu qu’ils auraient pu lui donner.

« Je ne sais pas comment nous aurions fait sans cet argent. La seule chose que je peux dire, c’est "merci". »


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Donner la priorité aux villages et aux quartiers les plus pauvres. Nous avons établi des micro-estimations de la richesse pour chaque cellule de 2,4 kilomètres de la grille, en appliquant des algorithmes d’apprentissage profond à des images satellite à haute résolution (en haut à gauche). Puis nous avons combiné ces estimations à des informations sur la densité de population de chaque cellule (en haut au milieu) et appliqué ces éléments pour sélectionner les 100 cantons les plus pauvres du Togo (en haut à droite).

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En nous appuyant sur les données de richesse déclarées et les données sur la pauvreté collectées lors de vastes enquêtes par téléphone auprès des abonnés actifs à la téléphonie mobile, nous avons entraîné des algorithmes d’apprentissage automatique afin d’estimer le niveau de richesse de chaque abonné (en haut à gauche). Dans les 100 cantons les plus pauvres (en rouge dans la figure de droite), les personnes dont la consommation estimée était inférieure à 1,25 dollar par jour ont été retenues comme bénéficiaires prioritaires du programme Novissi (ligne verticale en pointillés). Toutes ces personnes sont nettement plus pauvres que le résident moyen du Togo (en bleu).Source : Josh Blumenstock, université de Californie-Berkeley, 11 janvier 2021.